Session en rivière
Jusque là la pêche en eaux vives ne m'avait jamais réellement attiré. Je me cantonnais aux quelques étangs et carrières se trouvant proches de mon domicile. Mais un séjour en famille changea radicalement ma vision des choses. Arrivé sur place, à savoir dans le rectum de la France, où monts et plaines s'étendent à perte de vue, je remarque qu'un modeste cours d'eau vient briser la monotonie de ce panorama qui ne fut jusque ici que peu intéressant pour le modeste pêcheur de carpe que je suis. Celui-ci fera l'objet d'une excursion, qui aura au moins le mérite de m'occuper quelques heures durant ce week-end.
Je décide d'enfourcher le vieux VTT du grand père, tape cul comme une baignoire à roulette avec des amortisseurs de Visa club sur les pavés du Paris Roubaix. J'arrive enfin sur les berges, après de longues minutes à me laminer le postérieur sur les chemins très escarpés qui longent la rivière, je découvre un magnifique bief, bordé d'une végétation très dense. Je descends de la chariote du diable et je tente de prendre de la hauteur en grimpant dans un arbre afin de regarder s’il se passe des choses intéressantes en cette chaude après midi d'août. Une fois arrivé en haut d'un arbuste au péril de mes jours, j'aperçois deux grosses masses noires qui se faufilent entre les nombreux herbiers qui jonchent la bordure. Sans aucun doute, ce sont des carpes !
Je regagne la terre ferme n'ayant qu'une seule idée en tête, tendre mes lignes dans cette rivière afin de me mesurer à ces soit disant poissons surpuissants d'eau courante, et qui sont là, à ma portée. C'est décidé, la prochaine fois le fourreau sera dans la voiture.
Trois semaines plus tard, me voilà de retour en terre promise. Ni une ni deux, je pars avec une canne pour sonder afin de trouver un secteur intéressant à exploiter. J'emporte également 7 ou 8 kilos de graines pour amorcer. Je commence à passer au peigne fin le bief précédemment découvert. Je repère rapidement une zone bordée d'arbres immergés, farcies d'herbiers et de blocs de pierre. La profondeur oscille entre une mètre 50 et 5 mètres. De plus le courant est amorti par une langue rocheuse émergée qui avance dans l'eau une cinquantaine de mètres en amont du poste, et elle fait donc office de barrière. Le poste semble donc très prometteur. Une fois celui-ci repéré et amorcé, je n'ai qu'une obsession, et c'est d'être au lendemain matin, derrière mes cannes.
Ca y est, ça pêche… Le campement est établi. C'est un abri de fortune constitué d'un parapluie et d'un bed chair, par souci de discrétion. La fin de matinée ainsi que toute l'après midi resteront sous le signe de la tranquillité, mis à part quelques chevesnes qui ont apprécié mon amorçage vu leur importante corpulence.
Le soleil commence à descendre à l'horizon alors qu'aucune carpe n'est venue m'inquiéter, mais ce n'est pas le moment de douter. Les heures les plus propices au "BIP" arrivent.
Il fait nuit noire depuis environ vingt minutes, alors que deux carpes se sont manifestées sur mon amorçage, par de bruyants remous. Ceci ne fait qu'intensifier la pression qui repose sur mes épaules !
Si ma bobine s'emballe, sur quoi vais-je tomber ? Là je ne joue plus à domicile, je ne serai probablement plus le maître des jeux si un détecteur s'emballe, sur quoi vais-je tomber ? Je suis à un mètre de ma batterie, les yeux fixés sur mes scions, prêt à bondir.
Vers 1 heure du matin alors que je m'étais assoupi quelques instants, la canne pêchant juste devant un arbre mort sur ma droite se cintre. Le frein est très serré, mais la bobine tourne à fond les gamelles ! Si c'est un chevesne, il a une torpille dans l'oignon !
La prise de contact est musclée. Un poisson d'une puissance insoupçonnée m'aligne un rush de sous marin. Mes nerfs sont mis à rude épreuve, je m'accroche à la canne et je subis les sauts d'humeur de cette furieuse dame (ou monsieur, car qui sait, c'est p'têtre un barbeau de 18 kilo, héhé). Je tente de réagir et je bloque la bobine avec ma main, car je n'ai plus qu'une carte à jouer : l'hélitreuillage ! En effet, elle s'est très dangereusement rapprochée des obstacles de la berge en face, et si elle s'y réfugie la partie est perdue d'avance.
Ma canne est pliée jusqu'au moulinet, et forme une parabole parfaite, mon blank est mis à l'épreuve. Le pression que j'inflige à la canne est telle que le poisson se voit contraint de remonter en surface et crève la surface juste devant les branches. Je tire comme un bœuf, mais elle avoine comme un tracteur ! Elle finit par rendre les premiers mètres de nylon et je parviens à l'éloigner des obstacles. Une fois le danger écarté, j'ai le temps de prendre du recul sur la situation et je me rends compte que je ne suis pas tombé sur un pin's pour cette grande première en rivière. Elle se rapproche, je sens le nœud de ma très longue tête de ligne qui rentre dans les anneaux. Elle fait un premier remous en surface entre les autres cannes. Je décide d'allumer quelques secondes ma frontale afin de vérifier qu'elle ne va pas faire un gros tricot avec les autres lignes, sur ce poste où ma mobilité est très réduite. J'ai à peine le temps d'apercevoir une jolie miroir qu'elle me fait comprendre par un rush à nouveau très puissant qu'elle n'a pas apprécié la lumière. Elle me reprend environ 20 mètres de ficelle, en ressortant à nouveau mon nœud de tête avant de finir dans le fond du filet de mon épuisette. Je ne l'ai toujours pas vue, car je n'ai pas pris le risque de rallumer ma frontale par peur de reprendre la même correction que précédemment.
Une fois chose faite, je me rends à l'évidence, elle passe les 15 kilo, ce qui est déjà exceptionnel pour une rivière de cette taille. J'ai l'immense satisfaction d'avoir accompli ma mission. Mon premier poisson de rivière (qui n'est visiblement pas des moindres) va finir la nuit au sac de conservation afin d'immortaliser ce moment à la lumière du jour.
Au petit matin, l'aiguille du peson tremblote et fini par se stabiliser sur 17.4 kg; la tare du sac faite, les 17 kilos sont atteints.
Elle repartira à l'eau (sur son lieu de capture !) suite à une séance photo en présence de mes parents, de passage pour l'occasion, et ébahis tout autant que moi devant ce poisson.
Je passerai en tout 5 nuits consécutives sur ce poste, avec par la suite un collègue auvergnat qui m'a rejoint le lendemain de cette fabuleuse capture, et nous réaliserons plus de 70 touches de carpes en tout, pour plus de 50 arrivées, la plus grosse capturée étant la première. C'est à ce jour la plus belle session que j'ai réalisé en plus de 8 années de pêche intensive. Non pas en terme de tonnage, mais plutôt vis à vis du lieu et du contexte. En effet, j'ai découvert de par moi même un petit bief de rivière inconnu, où j'ai pris le risque de pêcher, et oà j'ai réussi à prendre de magnifiques poissons d'eau vive, qui plus est furent les premiers de ma vie
Je vous souhaite tous un jour de réaliser une session comme celle ci si ça n'a pas déjà été le cas.
A plum's et bonne saison 2005.
Yrag Ségreb, tp@ n°10
Publié par Garychworth le 22-06-2005