Evasion
Est-il un fruit plus délicat et sacré que celui de la passion ? La chose dont je vais maintenant vous faire part est personnelle. Il n’est donné à personne d’aimer, mais comme chaque capacité, il en est d’une ouverture au monde extérieur et à la force qu’il représente.

Le sourire d’un enfant est certainement une des merveilles les plus spectaculaires au monde et c’est d’un passionné qu’il est, je trouve, le plus beau.

Je ne peux vous certifier la nature de mes propos car je ne suis qu’un mortel à qui aucune divinité ne s’est jamais présentée, spectateurs de ses échecs, acteurs de son futur.
Comme la vie, la pêche n’est pas une science exacte. Jamais je ne prétendrai savoir avec exactitude les ressorts de celle-ci sur tel ou tel plan d’eau.

La chose d’aimer est l’essence de la vie. Un jour a-t-on donné le pouvoir et la passion de pêcher, sûrement a-t-elle coulé depuis toujours dans nos veines.

Il était là, penché sur un ponton de bois donnant sur un égout de rue, des heures durant, inlassablement les yeux fixés sur les eaux brunâtres urbaines. Il vivait pour elle, et dans un sens certain, elle aussi vivait pour lui. Il attendait les vacances en griffonnant sur un bout de papier les jours qui le séparaient de ses désirs halieutiques.

Le parfum des auréoles de vase dansait la valse sur un Brassens démodé dont les cordes ne cessaient jamais de jouer.

Il suffisait de lui parler de pêche pour que son visage s’illumine, narrant des histoires de poissons si grands en écartant les bras jusqu’à la douleur pour prouver la mesure de celui-ci.
C’était le début d’une longue histoire d’amour, d’un espoir retrouvé, et d’une vie de passionné.
Rien ni personne ne l’empêcherait de flâner des heures durant, le long de l’eau, au moment où l’innocence enfantine prend le dessus sur le monde complexe et incohérent des adultes.


Lorsque pêche et amitié ne font plus qu’un..




Et Il marchait, là où bon le menait, en vantant les mérites de la vie. Ses lectures se résumaient au « vieil homme et la mer » d’un Mr. Hemingway, humble pêcheur cubain dont la plume faisait frissonner les plus hasardeux, grand personnage qui est sans doute l’homme qui lui aura donné l’envie d’essayer de l’imiter et de se mettre à écrire.

En effet, il voulait reproduire les sensations de pureté et de sagesse qu'il éprouvait face à la nature et à sa force. Il voulait démontrer sa puissance à travers ses écrits et honorer celle-ci pour que les gens la respectent. Il n’écrivait pas pour être lu, c’était seulement sa façon à lui de se libérer d’un monde qui s’élargissant, lui déplaisait de plus en plus, entre égoïsme et méchanceté, guerre et cruauté, sans véritable amour apparent. Il voulait ne serait-ce qu’essayer de le faire.

Il détrônait de sa plume tout ce qu'il haïssait et, grandissant il se réfugiait de plus en plus dans une bulle douillette d’où il espérait ne jamais sortir.

Le choc fut crucial, en effet, ce soi-disant monde extérieur l’écœurait et au fur et à mesure de son enfance il fut déçu par celui-ci. Il ne comprenait pas pourquoi la Nature, cette reine incomprise, disparaissait de plus en plus sans que personne n’y fasse vraiment attention.
On aurait pu écrire des pages entières, mais jamais réussir à retranscrire le sentiment de désinvolture et de tristesse qu’il éprouvait en un tel moment.

Seule l’eau et ses mystères le contrôlaient et le rendaient heureux. A peine eût-on vu le scintillement du reflet du soleil sur une masse aquatique, que se dressait sur son visage un large sourire inimitable, une rage de vaincre et une envie folle de savoir.

Il était comme qui dirait possédé par celle-ci et sa curiosité grandissant Il essayait de résoudre sa complexité et de la lire. Ayant beau tourner les pages de celle-ci, ce qu’il comprenait un jour lui paraissait faux le lendemain. C’était tel la vie, il ne savait contrôler que son présent comme si le futur était intouchable, une chose partielle indistincte qui provoque l’espérance et le vertige de l’ignorance.


La nature est une souveraine mais c’est nous qui déciderons
du sort de son avenir.



Si ce récit est en « Il », c’est qu’aujourd’hui, je dois ma passion aux personnes qui m’ont entretenu tout au long du fil de la pêche. Certes je pourrais citer des noms, mais ces dernières se reconnaîtront d’elles-mêmes. Ce sont eux que j’admire et vers qui je trace mon chemin. De ce texte, je voudrais adresser ma gratitude à ces pêcheurs, qui pour désaltérer la passion asséchée de ce jeune homme, l’emmenait des journées à rêvasser le long de l’eau. Buvant les paroles de ses maitres qui sans cesse lui indiquaient et lui expliquaient les différentes facettes de la nature, il se laissait porter par le doux flot des cascades et de chant des criquets. Le bonheur existait et avait donc un nom : l’eau.

Peu à peu il s’adaptait à l’air de la campagne et s’identifiait à la nature. Il comprit que comme elle, il avait son instinct de survie et qu’il n’avait de différences apparentes avec un quelconque mammifère. Et plus encore, la beauté naturelle d’un poisson le laissait sans voix. Il adorait en voir nager un dans son eau limpide, le voir se nourrir et se reproduire en toute quiétude. Il y avait en cela quelque que chose de fascinant qu’il ne serait à même de retranscrire aujourd’hui. C’était comme un bal, les poissons virevoltaient dans l’eau, et il appréciait de les voir, comme on aime à regarder une danseuse étoile.

Un jour de sa douzaine, l’amena-t-on pêcher la carpe. Au grand dam de ses parents, il revint de cette journée, comme qui dirait ensorcelé.

Sa langue sans cesse tournait, bafouillant un zeste de paroles incompréhensibles mais tellement significatives.

Telle une morsure de serpent, le venin de la carpe coulait dans ses veines, et il actionnait nuit et jour son réveil pour se rappeler du bruit d’un départ.

Dans sa tête, des images de carpes passaient les unes après les autres à en devenir fou.
L’amour était né.


Un peu, beaucoup, passionnément..



Ses nuits étaient bercés par des oiseaux de feu qui arrachaient au soleil les flammes tombant sur la platitude d’un lac d’or, d’où ressortaient d’immenses ombres en banc uniforme dont la dorsale broyait le calme de l’eau.

Vint alors le no-kill qui étouffa les hargneux dédaignant une activité aussi cruelle. C’était comme une prophétie qui se réalisait, lorsque, déchirant le silence, un poisson repartait du tapis de réception en pleine santé.

Il savourait ces moments d’une intense volupté qui à jamais resteront dans une parcelle de son cerveau.



La remise d’un poisson à l’eau est toujours un instant magique.


Ce texte n’a de sens que si l’on y voit l’enfant qui y reflète et le courage et l’amour que lui a apporté sa passion.

Sans cette dernière, certaines étapes de sa vie, n’auraient pu être passées convenablement.
Je veux juste vous écrire que sans les personnes qui contribuent à l’épanouissement de la pêche à la carpe, certains « gosses », ne seraient pas là aujourd’hui et qu’ils apportent à ceux qui ont perdu le sourire de l’amour et de la passion que l’on ne peut trouver ailleurs.

Cet enfant a eu énormément de chance d’être tombé sur des amoureux de la nature généreux qui lui ont enseigné un peu de leur savoir et qui l’ont aidé bien plus qu’ils ne peuvent le croire tout au long du parcours de son enfance.

Par contre, aux messieurs voulant ruiner notre passion, aux détracteurs incompréhensibles, à ceux qui nous rejettent et nous excluent par des abus intempestifs d’un provisoire pouvoir, je ne peux que vous plaindre et espérer qu’un jour une lueur d’intelligence percera votre triste idée de notre passion, sachez que jamais je n’aimerais être comme vous pour l’unique raison que voler le sourire d’un enfant est un crime, et qu’un jour ou l’autre, vous payerez pour celui-ci.

Cet enfant je le connais trop bien, et aujourd’hui assez pour vous faire comprendre l’importance et la place que possède la pêche à la carpe dans son cerveau.
Il est mon passé, présent et futur.

La vie est comme les marées, elle va, elle vient, et l’on ne sait pourquoi.


Louis.


La beauté originelle d’un poisson peut rendre un sourire
à ceux qui ont perdu l’habitude d’être heureux.




Publié par Ralphy le 25-09-2006
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