Journal intime d'un carpiste 1/2
Avec ma femme Estelle, nous profitions de nos derniers jours de vacances pour visiter un majestueux lac de barrage. Nous avions flâné une bonne partie de la matinée au bord de l'eau. Et comme toute bonne chose a une fin, il était temps maintenant de ranger notre picnic et de rejoindre notre véhicule. Avant la tombée de la nuit.
C'est sur le chemin du retour que je le vis pour la première fois. Il semblait me narguer, immobile, d'un blanc de nacre assurément parfait, il nous observait calmement ma femme et moi.
Nous étions arrivés sur une petite butte de terre nous surélevant de 2 à 3 mètres par rapport à la surface de l'eau. De cette hauteur, ils nous était aisé d'observer les carpes, il y en avait des dizaines à fleur d'eau, certaines accusaient un poids plus que respectable. Et puis là se tenant un peu à l'écart... Un véritable spécimen, un spécimen unique !!!
Crevant la surface pour profiter des derniers rayons du soleil, il devait dépasser facilement les 25kg, je fus surpris et étonné à la fois !!! En fait, ce babar ne se tenait pas à l'écart, mais c'était les autres carpes qui l'évitaient, on aurait presque dit qu'elles avaient peur de s'en approcher.
Je restais là, je ne saurais plus dire combien de temps, à le contempler, presque hypnotisé par sa beauté. Quand ma femme me ramena à la réalité, la pénombre gagnait le lac. Il était temps de rentrer…
Pendant les semaines qui suivirent, je n'eus plus qu'une seule obsession, prendre au piège ce Koï. Au début, je me suis mis à élaborer les plus folles stratégies pendant mes journées de travail. Ce qui n'était vraiment pas une bonne idée. Je suis technicien pour une grosse société de domotique et il est indispensable d'être concentré un minimum.
Au début, je ne m'en suis pas trop mal tiré. L'expérience m'ayant permis d'éviter de grosse gaffe.
Mais, jour après jour, je sombrais dans une folie que j'aurai pu nommer « la carpistite », j'en étais arrivé à un tel point, que même mes nuits, je les consacrais à ce poisson.
Amorçage, montages, appâts...
Amorçage, montages, appâts...
Amorçage, montages, appâts...
Sans cesse le même refrain, sans cesse les mêmes pensées. Il fallait que je fasse quelque chose et vite, sinon ma santé mentale allait en prendre un coup.
Le tournant de cette histoire se passa le lundi d'après.
Arrivé de bonne heure au travail, je sus que c'était perdu avant même d'avoir dit bonjour :
-Salut boss, passé un bon week-end ?
-M'en parle pas, ma femme ne veut même plus m'adresser la parole. De plus les Usrobotics ne sont pas arrivés et il nous sera impossible de terminer la connexion avec les K8.
-Bien...Justement à ce propos, je voulais vous demander !!! S'il… enfin bon je me lance, … j’aimerais si c’est possible reprendre une petite quinzaine de jours de congés...Ah mais, attention hein !!! Sans solde bien sûr, j'ai un petit souci familial à régler.
- Mmmmh… écoute, je pense avoir été des plus cools avec toi. Tu rentres à peine de vacances. J'ai reculé le projet KILIAN pour que Monsieur prenne ses congés en même temps que sa femme. Et tu veux rempiler. Alors soit tu te remets dans le bain, soit lundi, c'est un cachet que tu iras chercher. Les techniciens, c'est pas ce qui manque !!!!!
-M'enfin attendez, je ne demande pas la fin du monde non plus quinze jours, ça ne vous tuera pas, le matos n'est même pas arrivé. Et pour trouvez un technicien fin prêt pour terminer le projet. Je vous souhaite bonne chance !!!
Faut croire qu'il pensait être né sous une bonne étoile, car 25 minutes plus tard, je passais chercher mon solde au bureau accompagné de mon C4.
La bonne nouvelle était que j'allais enfin pouvoir me consacrer pleinement à ce poisson... Et je pris la nouvelle malgré moi avec joie. Malheureusement ma femme ne le voyait pas sous cet angle.
Et mon départ fut des plus pénibles, cris larme, reproches et au fond de moi, je savais qu'elle avait raison. Mais comment expliquer à sa femme qu'on a quitté son emploi pour un poisson, comment lui dire et en même temps se convaincre qu’on ne frôle pas la folie. Syndrome de Borderline dirait mon foutu médecin.
Le semblant de culpabilité que j’éprouvai fut presque instantanément effacé lorsqu'une petite voix me fit parvenir un message du plus profond de mes entrailles.
« Plus de travail, plus besoin de prendre de vacances, plus de vacances, plus de limite à ta session »
Le temps de dévaliser le supermarché du coin, de vider ce qu'il me restait de boule et de charger mon matériel et j'avais pris la route.
Que me réserve ce lac... J'ai hâte d'y arriver.
27 août 2003
Cher journal, cette journée a été des plus apaisantes, la route qui m'a porté jusqu’à « LAGBB ». C’est le doux nom que j’ai donné à notre Lac, LAGBB, tout simplement pour Lac à Gros Babard Blanc, je sais c’est con, mais j’aime bien nommer les choses, enfin soit !!! Cette journée m'a permis de purifier mon esprit et c’est le cœur serein que je débute cette session.
Au diable mon sale con de patron, au diable cette femme qui ne peut comprendre ma passion, nous voilà seuls, et que la danse commence…
28 août 2003
C’est un peu fatigué, que je reprends la plume, mais je me suis promis de notifier un maximum d’information sur ce journal. J’ai passé cette première journée à guetter la moindre tache blanche en surface. Mais malgré mes efforts, je n’ai pas découvert le moindre Koï.
Faut avouer que ce Lac de barrage construit en 1973 accuse une superficie de 2 200 ha, même en étant d’une extrême rigueur. Je pourrai passer des semaines à sonder ce lac sans apercevoir la moindre trace de poisson. Mais j’ai un plan !!! Ce Koï est un spécimen et je suis certain qu’il doit être cantonné dans un secteur bien précis. La température a été stable. Oh oui, j’en suis catégorique, il n’a pas dû migrer, Dieu faite qu’il n’ait pas migré…De plus d’un autre côté pas question de commencer à pêcher tant que je n’aurai pas repéré mon saint Graal, Dieu ou pas Dieu, migration ou pas, je le trouverais.
Mes recherches ont commencé par la partie Ouest du lac, plus précisément le bras à l’île, c’est là que je l’ai aperçu avec Estelle. J’ai quadrillé sommairement l’endroit et toutes la journée j’ai passé et repassé le secteur au peigne fin, dans l’espoir de l’apercevoir, mais ce modeste bras accuse quand même pas loin de 200 ha à sonder.
Il est temps de me coucher, demain sera un autre jour.
29 août 2003
Rien à signaler, je continue mes recherches, afin d’être le plus mobile possible, j’ai décidé de dormir sous la belle étoile, mon bedchair et mon sac, c’est tout ce que je débarque du zodiac. Demain je réglerais mon réveil sur 6h00, je gagnerais quelques heures de clarté …
30 août 2003
23h00, c’est à la lueur d’une bougie et en perpétuel cache-cache avec les moustiques du sud, que j’écris c’est ligne, cette journée à encore été couronné d’un échec, je n’ai même pas pris le temps de dîner, je le trouverais, saleté de poisson, je t’aurais.
J’en fais le serment…
2 septembre 2003
Cette fois je le tiens, 7 jours que je dors à peine, que je mange à peine, mais je l’ai enfin aperçu !
Je commençais à douter de mes propres constatations sur la sédentarité des spécimens et toutes ses conneries et m’apprêtais à sortir de ce bras, par la pointe gauche. Lorsque mon regard fut attiré par une branche flottante. Je dois bien l’avouer, lisser, délavé par l’érosion et tordue, elle m'a d abord fait croire à un serpent d’eau. Le petit pincement au cœur passé, je restais là à toiser ce vulgaire bout de bois. Quand un miracle se produit, à 1mètre sur la gauche enfuie d’à peine de 20 cm d’eau, il était là, simplement là.
Il m'a laissé le regarder une poignée de seconde avant de plonger doucement vers les abysses de ce lac.
Les affaires reprennent, j’ai enfin trouvé mon Graal, et le poste est idyllique, une pointe de bras est toujours un poste à favoriser en générale.
D abord parce que 9 fois sur 10, le prolongement d’une pointe nous offre un haut-fond facilement exploitable, ensuite parce que je pense bien que les carpes qui rentrent dans un bras longent la berge.
3 septembre 2003
J’ai pris pour la première fois depuis mon arrivé un vrai repas, et ma nuit a été l’une des meilleurs depuis que je suis arrivé sur ce lac.
Par contre un truc de fou, c’est produit cette nuit… J’ai entendu des voix de filles ou plus précisément, il semblait être la voix d’une et unique fille, je n’ai pas très bien compris les paroles.
Je suis sorti et j’ai appelé, mais je n’ai eu aucune réponse.
C’est surprenant qu’isolé sur une pointe de lac, dans la partie la moins accessible de celui-ci, avec une forêt d’au moins 500 ha derrière moi, j’entende des voix la nuit.
Demain, j’irai exploiter les environs, il doit certainement avoir un camp scout ou un sentier pour touriste proche.
J’ai commencé ma prospection des fonds, comme je l’avais imaginé, cette pointe s’allonge pour former un haut-fond, elle descend en pente douce jusqu'à peu près 12-13 mètre ensuite c’est la chute à 23-25 mètres.
Sur ma gauche à une 20e de mètre, j’ai un herbier assez parsemé, j’ai déjà pu remarquer grâce à la clarté de l’eau, quelque troué très intéressante que je ne manquerais pas d’exploiter. Le fond est assez chaotique, mais sans souche. J’ai repéré assez près de la bordure une cassure bien net, à 3 mètre de profondeur.
Ma droite est relativement vide, j’ai juste repéré un plateau qui monte jusqu'à 3 mètre de la surface pour la partie haute et descend à 7 mètre pour la partie basse.
Je peux enfin, après 8 jours à sonder ce lac, mettre mes premiers appâts à l’eau.
Mon choix ne sera pas trop compliqué à faire, disposant de 4 cannes, j’exploiterais L'herbier, la cassure je me réserverais le haut fond devant moi pour plustard, mais je vais déjà commencer à l’amorcer, et, je placerai une canne au-dessus du haut-fond de droite et une au pied.
Mon amorçage sera essentiellement composé de pellets et de boules, je ferai des chemins entre mes cannes et des fuyantes vers les milieux du lac sur une distance de 100 mètres.
Côté appâts, j’ai préféré la simplicité : boules sans arôme sucré, noix tigrée, pellets, frolic.
Nous sommes le 3 septembre à 16h15, mon campement est enfin monté, mon Shelter est soudé au sol, le zodiac est entièrement vide, vivre, eau, magazines tout est venu se ranger dans le parapluie-tente et mes 4 lignes sont enfin à l’eau.
J’ai bénéficié jusqu’ici d’un temps relativement agréable, une moyenne de 18-20 degrés sans pluie, mais sûr ces grands lacs capricieux, vaut mieux se parér au pire.
4 septembre 2003
Ma nuit a été agitée, j’ai encore cru entendre ces cris de fille, cette fois je ne suis pas sorti voir. Mon Delkim m'a réveillé à 4h20, pour ferrer une jolie brème. Mis à part ce 2ème événements le lac est placide.
Estelle m'a appelé ce matin, entendre sa voix, m'a littéralement fait bondir de joie, je n’ai eu comme conversation depuis que j’ai entrepris cette session, que quelques misérables cris de fille imaginaire la nuit. Ce qui n’est pas pour me rassurer.
Maladroitement j’ai oublié d’éteindre mon GSM afin d’économiser sa batterie et bien qu’elle m'ait fait un bien fou, les seules paroles que j’ai pu entendre avant que ce satané gsm coupe…
Estelle : Tu es complétement fou, tu ne m’as même pas appelé une fois, Dépêche toi de...trer, sin… j’app.. mon avoc… Tuuuuuuuuuuutttttt
J’avoue que c’est très frustrant d’être coupé comme ça, je n’ai pas tout entendu, mais, j’ai bien compris ce qu’elle voulait me dire.
Mon Dieu, faites qu’elle ne mette pas ses menaces à exécution, je n’ai jamais connu qu’elle, je serais perdu.
Si seulement je pouvais rentrer, en laissant tout tomber, je le ferais.
Mais ce lac m’hypnotise et à présent il est trop tard, je dois aller jusqu’au bout.
5 septembre 2003
J’ai pris ma première carpe cette nuit. 8 kg toute mouillé. Vers 3h20 une petite touche à retour.
Seul, j’avoue ne pas avoir eu le courage de préparer le pied et de sortir l’appareil à cette heure.
Au moment de remettre ma captive dans son élément, j’ai cru apercevoir une silhouette blanche flotter à la surface, mais la seconde d’après, elle avait disparu. Je commence à croire que mon imagination me joue des tours, je vais reprendre une hygiène de vie correcte. Sinon dans 2 semaines je vais voir des éléphants roses.
À oui j’oubliais, je l’ai enfin revu, vers 10h-11h, je replaçais mes lignes avec le zod, quand mon attention s'est portée sur ma gauche. Il était là !!! Juste au-dessus de l'herbier en bordure calme et je le jurerais, il m’observait… Détail que je n’avais pas remarqué jusqu'à présent il a les yeux rouges, c’est donc un albinos.
Quoi qu’il en soit il est dans les parages…
Vendredi 12 septembre 2003
Je ne crois pas m’être beaucoup trompé sur la date. Je n’ai plus rien écrit depuis le 5 septembre pour la simple raison que je n’étais plus sûr de vouloir continuer ce journal. Mais je ne peux garder tout ça pour moi.
Les choses ont empiré un jour ou 2 après l’avoir vu, plus motivé que jamais j’ai changé ma stratégie de pêche et j’utilisais juste un sac soluble dans L'herbier. Je pensais éviter d’attirer les brèmes et à forciori les autres carpes. Bien qu’après un peu plus de 2 semaines de pêche je n’aie pris qu’une seule carpe, le Koï était dans le coin et autant essayer de le prendre par gourmandise.
Mais c’est la nuit que ça s’est passé, mon dieu, que c'est il passé ?…
Publié par Capou le 28-06-2010