Journal intime d'un carpiste 2/2




Je suis donc sorti marcher un peu, après à peu près un quart d’heure de marche, j’ai senti un frisson me parcourir et un léger bruissement a attiré mon attention sur ma droite…

… Elle était accroupie au bord de l’eau, si on peut appeler ça accroupi, et m’observait d’un regard rougeoyant.

Agée d’une trentaine d’année (du moins elle n’en paraissait pas plus), on pouvait distinguer les restes d’une beauté presque perdue sur son visage. Son regard froid et sans la moindre expression avait une lueur effrayante et attirante à la fois. Ses cheveux noirs étonnement lisses tombaient négligement sur sa poitrine, ils augmentaient encore le contraste avec la couleur de sa peau.

Elle était vêtue d’une robe vaporeuse presque aussi blanche que son visage. Entourant une taille de guêpe, une ceinture de soie vraisemblablement bleue lors de son achat, permettait de coller sa robe au plus près de son corps.

Il m’est difficile de décrire avec des mots la confusion de sentiments qui s'est produite pendant les premiers instants de ma rencontre. Toujours est-il, qu’à ce moment précis, c’est la curiosité qui est sortie vainqueur de ce combat cérébral. J’ai donc fait un pas vers cette femme, je ne me souviens plus avoir voulu avancer, j’aurais dû prendre mes jambes à mon cou, mais bizarrement mon premier geste a été d’avancer.

Drôle de situation !!! Quand on est assis bien au chaud dans son salon, à regarder des films d’horreur, il est toujours facile de s’écrier: « mais bouge de là, sinon tu vas te faire bouffer !!! !! », « Mais quelle conne celle-là, elle reste plantée là !!! ».

Aujourd'hui, c’était moi la conne !!! Et devant moi se trouvait la femme la plus étrange qu'il mais été permis de voir, et pourtant je me suis avancé et j’ai essayé de lui adresser la parole.

- Bonjour, madame… vous… vous… avez besoin d’aide ?

Elle m'a regardé une fraction de seconde… s'est redressée … puis s'est mise à crier, un son inhumain, plus aïgu qu’une craie sur un tableau, le son devenait une douleur, une arme, il me traversait littéralement de part en part.

J’ai bouché mes oreilles comme j’ai pu et me suis enfui le plus vite possible de cet endroit. Lorsque je me suis engouffré dans les buissons, j’ai lancé un dernier regard en arrière, je ne saurais dire si c’est la peur qui m’a joué un tour, mais son visage avait l’air déformé par la rage. Le petit quart d’heure de marche qu’il m’a fallu pour venir a été divisé par 10 pour le retour.

J’ai passé le reste de la nuit, assis sur mon bedchair à m’apeurer du moindre bruit et Dieu sait qu’au milieu de la nuit, les bruits sont nombreux.

Au petit matin, j’étais décidé, j’allais quitter cet endroit, ranger mes affaires, reprendre la route et en moins d’une journée, je serais de retour. Je pourrais serrer ma femme dans mes bras, reprendre ma vie, oublier cette galère.




Le chargement du zodiac a été un jeu d’enfant, malgré mon épuisement !!! La quantité de vivres et d’appâts frôlait le zéro et le peu de matériel à embarquer fut vite placé entre les boudins. L’histoire du Gsm, m’ayant servi de leçon, j’ai religieusement économisé ma batterie, de sorte que le retour se fera en douceur.

La berge s’est éloignée lentement et déjà je sentais le vent me raviver le visage, la vie reprendre doucement en moi, je pensais déjà au bon repas que j’allais faire lorsque !!! Je le vis …posé contre un arbre…

Mon sac en toile de jute, autrement dit, j’avais bêtement oublié mon échosondeur sur la berge. C’est un bas de gamme, mais il frôle quand même les 250€, impossible à abandonner, même dans mon état de faiblesse. Un rapide demi-tour, un accostage sans difficulté sur cette pente douce. Je prends bien soin de fixer mon zodiac à une souche, quelques pas à fleur d’eau (la pente douce, n’a pas que des avantages), mais avec mes bottes aucun souci d’humidité.

Je récupère mon sac, demi tour et …

… en retournant vers le zodiac, je me surprends à avoir la nostalgie de cette pointe, mes déboires, mes galères, mes grands moments d’espoir. Ce concentré d’émotion me submerge et je retiens à grand-peine de verser quelques larmes. Quand reviendrais-je dans cet endroit ?

Je considère quelques instants mes pas laissés dans la boue, les plus proches de l’eau se remplissent déjà par infiltration, en regardant ces trace se gorger d’eau, un nom me vient à l’esprit « Robert Falcon Scott ».

Cet amoureux inconditionnel du froid va vivre avec son équipe une traversée du pôle sud tragique, en 1911, il parcourra près de 2500 km, dont les 1280 km derniers à pied, ayant laissé les chiens épuisés à un refuge pour ne pas les faire mourir de fatigue.




Ne voulant abandonner les membres de son équipe ralentissant le petit convoi de 5 personnes. Et ce au péril de leurs vies (les vivres commençait à manquer le temps pressait). Laurence Oates un membre de leur petite équipe déjà bien atteint d’engelure et d’entérite se sacrifiera en cours de route afin de laisser toutes leurs chances aux survivants.

Après un salut solannel, il déclara à ses compagnons : « Je sors, je resterai peut être un petit moment dehors ».

On ne l'a plus jamais revu…

Cet acte héroique ne sauva pas la vie aux autres, Robert Falcon Scott mourut avec ses 2 coéquipiers restants à une 20e de km du camp où l’attendaient vivres et médicaments.La malchance voulut qu’une tempête les empêche de faire ces derniers malheureux 20km, alors qu’il venait d’en parcourir plus de 1000 km démoralisé comme peu de personnes peuvent l’être dans une vie.

Jugez donc, lors de leur arrivée au centre du pôle sud, après les premiers 1280km parcourus avec enthousiasme et confiance. Ils ont trouvé un monticule de neige,au dessus de celui-ci flottant négligement au vent, le drapeau norvégien ! Placé par le plus grand de ses rivaux « Roald Amundsen », il était arrivé trop tard.

Les spécialistes s’entendent pour dire que c’est cette défaite qui les aurait conduits à leurs fins. Lorsqu’on retrouva leurs corps, plusieurs mois après cette mésaventure, Robert F.S était encore penché sur son journal frigorifié, relatant les derniers moments de leur existence.

« Je ne pense pas que des êtres humains aient déjà vécu un mois comme celui que nous venons de vivre mais pour ma part je ne regrette pas ce voyage ».

Comme son journal le montre, ces hommes firent preuve d’un courage rarissime.

Vous vous demandez peut-être pourquoi me remémorer le nom de cet homme, alors qu’ici sur ma petite pointe, baignée par les derniers rayons de septembre, la température frôle les 18° ?




La réponse est simple, je suis méprisant, je ne vaux pas plus qu’un ver de terre répugnant.

Regardez ces hommes, le courage qu’il ont eu, ils sont morts sans abandonner un seul membre de leur équipe.

Et regardez moi, je rencontre une malheureuse à peine habillée au fin fond des bois, sans chaussures, car l’empreinte qu’elle avait laissée était des empreintes de pieds nus.

Et ma première réaction est de m’enfuir pour commencer et ensuite au plus vite replier pour rentrer chez moi.

Que Dieu me pardonne !!!

Je vais remonter ce campement et découvrir pourquoi cette femme reste dans ces bois.

Qui est cette femme ? Que fait-elle dans le bois seule en pleine nuit ?

Si j’ai eu peur, qu’a-t-elle pu ressentir alors ?

De toute façon, mes vivres ne me permettront plus de tenir une semaine, mais je ferai mon possible...

samedi 13 septembre 2003




Ma veillée de cette nuit n’a rien apporté, je n’ai pas revu cette femme, mis à part encore cette lueur au milieu du lac, la nuit a été d’un calme plat. Que ce soit en vision ou en départ, rien n’a signalé.

dimanche 14 septembre 2003

A part une petit toux et un mal de gorge… je pense avoir pris froid pendant mon escapade nocturne. Rien à signaler.




Mardi 16 septembre 2003

Mes vivres diminuent dangereusement, je vais devoir commencer à les rationner. Mon rhume s'est transformé en quelque chose de plus grave, mais je ne saurais dire quoi. Une pharyngite peut-être, mon mal de gorge empire de jour en jour. Je me soupçonne même d’avoir fait de la fièvre cette nuit. En tout cas je l’ai revue…

Vers 2h15, un grattement s'est fait entendre le long du parapluie, le son ressemblait à des ongles qu’on glisse doucement sur une toile.




J’ai bien entendu d’abord pensé à une souris qui se frayait un passage, je suis sorti pour constater les dégâts et je suis tombé sur l’inconnue.

Debout sur une souche, elle semblait presque flotter entre 2 mondes, un sourire discret baigné de mélancolie. Cette fois, malgré toutes mes bonnes résolutions, j’ai été pris de panique, si elle recommençait à hurler ??? Elle m’a jeté un regard d’une infime tristesse et a plongé dans l’eau glacée du lac sans le moindre mot.

Je n’en croyais pas mes yeux !!! Je me suis précipité pour l’aider, mais on aurait dit que l’eau l’avait avalée, pas un seul remous, rien... une mer d’huile …

J’ai attendu…, je suis resté debout à observer l’eau pendant au moins une heure, et plus la moindre trace de notre inconnue. Quand j’ai enfin regagné mon abri, ma gorge me faisait l’effet d’avoir avalé un acide par mégarde, je pense que cette petite pause au milieu de la nuit m'a achevé.

Je ne sais plus très bien où j’en suis, il ne me reste plus qu’une demi bouteille d’eau et je sombre doucement dans la folie.

Je me suis juré de l’aider, mais…

Je n’ai plus relevé mes cannes depuis au moins une semaine, mon état de santé s’est dégradé et pourtant je n’arrive pas à quitter cette endroit, cette fille, m’intrigue et m’envoûte.

Je ne sais pas pourquoi je continue à tenir ce journal à jour, peut-être parce que c’est la dernière chose qui me retient à la réalité.

Robert F.S l'a bien tenu, jusqu'à son dernier soufle…

Jeudi 16 septembre 2003

Ma gorge me fait si mal… je n’arrive plus à me nourrir, je n’ai plus bu depuis hier matin et je n’arrive plus à avaler la moindre bouchée. J’ai revu, la nuit passé, cette lueur au milieu du lac, je suis maintenant certain qu'elle m’appelle, c’est la belle inconnue. Je vais tenter le tout pour le tout, d’ici peu de temps, à la tombée de la nuit, je partirai en zodiac au milieu du lac.

Je n’en peux plus, je laisserai toutes mes affaires, je n’ai plus la force de continuer, ce soir je vais voir cette lueur intrigante, ensuite je rejoins ma voiture et je m’enfuis de cet endroit maudit.

Je vais laisser ce journal derrière moi, si vous le trouvez dites à ma femme, que je m’excuse, je lui demande pardon, pour tout ce que j’ai pu lui faire, c’est elle qui avait raison.

Je vois l’horizon s’assombrir le moment est venu de partir,

Dites à ma femme que le l’aime…

Avril 2006

Quelle histoire ahurissante !!!

Je vous ai retranscrit chaque ligne de ce journal incroyable trouvé au bord de ce lac mythique. Je cherchais comme notre pauvre ami, un poste de passage, et j’ai moi aussi pris position sur cette petite avancée. J’ai exhumé, ce journal, enfui sous les restes d’un parapluie tente mangé par la mousse et où un nombre incroyable d’insectes avait élu domicile.




Tout le nécessaire du Carpiste était encore présent, le bedchair, bien que complètement moisi, la table de biwie, le sac à dos, 2 boîtes de conserves encore comestibles.

C’est dans un petit seau, sous le bedchair, que j’ai déniché notre journal, si l’auteur n’avait pas pris le soin de le déposer dans ce seau et de le refermer hermétiquement, il ne resterait sûrement plus aucune trace de cette aventure.

Je ne sais pas si cet homme est le même que celui qui a été retrouvé, le long du barrage, en décembre 2003. Un pêcheur de carnassier pêchant à la traîne a pris dans ses lignes, le corps d’un homme d’une 40 ènes d’années atrocement mutilé.

Ses yeux et sa langue avaient été arrachés, ses mains et chevilles étaient liées avec des barbelés, son visage méconnaissable était figé dans une expression d’horreur ! Dans cette région calme et paisible, cet incident a été relaté dans tous les journaux locaux pendant plusieurs mois.

Une commission d’enquête a été mise sur pied, et un an plus tard après avoir dépensé des milliers d’euro, elle a simplement conclu à un règlement de compte, sans apporter la moindre explication plausible.

Le pauvre bougre qui a écrit ce journal ne doit pas être notre victime, je ne le pense pas, il doit avoir simplement rejoint sa famille. Le fait d’être resté plusieurs semaines seul a dû lui taper au cerveau et sur la dernière semaine il devait perdre la raison, à en croire son journal.

Il avait quand même raison, sur un point. Il doit exister non loin d’ici un sentier ou un camp scout, car cette nuit j’ai entendu des cris de fille ou de femme, je n’ai pas bien entendu…

Publié par Capou le 03-07-2010
Créé par Actorielweb