La Trace
Aujourd’hui, je ne sais toujours pas ce qu'il m’est arrivé, fait étrange ou simplement un tour d’une âme perdue ? Pourtant, ce coup du soir ne présage rien d’exceptionnel, comme à mon habitude je vais appliquer une technique simple précédée d’un amorçage à la bille de 14.
Ce méandre de rivière me plaît par cette sorte de « convivialité », se sentir entouré dans un écrin de nature bienveillante élimine tous les soucis. Ma première canne va rejoindre les arbres morts, je garde néanmoins une marge de sécurité, en retrait de cet amas de bois qui devrait me faciliter la chose. Même si une tête de ligne en 60/100 sur 10 mètres me permet d’appréhender sereinement ce type de poste, je préfère optimiser la sécurité du poisson et assurer les départs.




Le doute ne dure pas longtemps, le détecteur de la première canne se fait entendre. Vite ! Ne pas perdre du temps, le moulin se dévide tranquillement, le contact est brutal, ma canne se plie et un coup de tête du poisson annonce la couleur. Pas le choix : il faut tenir et ne pas laisser prendre les quelques mètres qui séparent de son refuge, elle tire doucement mais en puissance. Ne pas avoir la faiblesse de laisser sortir de la tresse ! Mais elle continue d’avancer, encore 1 mètre et ça sera fini, le nylon frotte, il souffre, j’aurai perdu.




Je tente une manœuvre désespérée pour contrer ce poisson infernal. Le résultat ne fut pas immédiat avant qu’il reparte en pleine eau dans le courant !
Rien n’est gagné pour autant, mais la finalité de la joute tourne en ma faveur : une superbe miroir vient fréquenter le matelas de réception en y laissant une infâme purée marron avec une odeur digne des recettes de sorcellerie maléfique.
L’action et l’observation, ainsi que la concentration pour placer le montage correctement ont accaparé toute ma personne. Alors que j’allais monter mon second piège, des bruits derrière les fourrés m’extirpe de mon bien-être. Pas de vent, nul oiseau qui passe. Est- ce un canidé qui revient de l’au-delà ?




Je vois la nature qui clôt, il commence à se faire tard. Je vais déposer un montage flottant à la lisière d’une roselière, il sera accompagné de quelques poignées de pellets et brisures de billes. Quelques brèmes et chevesnes brisent cette quiétude et me font patienter, pour enfin voir le moment que je préfère dans la journée celui du « entre chiens et loups ». Cette expression quoique très imagée n'a pas de réelles origines, il est vrai que cette période estampille la transition entre le jour et la nuit. Mais ne marque-t-elle pas le simple pêcheur qui croit détenir son avenir entre ses mains? Surtout en voyant l’activité grandissante des poissons, ainsi que les tirées annonciatrices d’un départ imminent. Pour l’au-delà ?
Non bien sûr…. Même si certains combats nous emmènent très loin, l’euphorie retombe toujours. Si les souvenirs sont tenaces pour nos esprits, ils ne restent que de fugaces visions imperceptibles ou délétères pour certains.




Assis et fébrile,j’espère que les autres combats seront gagnants car la tête de ligne a sacrément souffert sur le premier poisson,je l’ai remplacé mais on ne sait jamais ce que la vie ici bas nous réserve…
J’entends marcher, je me retourne et je le vois. Ni loup, ni renard, ni chien, il rôde calmement, l’effraie le salue de son cri glacial. Il éveille quelque chose en mon être intérieur, mais quoi ? Combien de temps suis-je resté hypnotisé par cette vision ?
Le seul indice est que les sapins à proximité sont maintenant des lames érigées dans le ciel noir, il écarte les dents de la nuit. Vais-je revoir ces yeux un jour ? Quand reviendra-t-il ? Ces questions m’ont tenu éveillé tout le trajet du retour dans ce marais, ce lieu où vivent ceux qui ne parlent plus aux humains et qui ne laissent aucunes traces...
Publié par jean_cpb le 01-06-2011
Créé par Actorielweb